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• Résumé

« Et voilà, à enchaîner les conneries, je passe un été paumé dans l'Oise...

Mais bon, je ne me plains plus trop de la punition infligée par mes vieux.

Depuis mon arrivée au domaine Laval, mon petit organe palpite à fond pour Dorian. Un as de l'équitation aussi chaud que sauvage. »

*

Durant les activités au centre équestre, les hormones des jeunes vacanciers s'affolent autour d'Yliane - la fille aînée des Laval.

Xavier, lui, fantasme en secret sur Dorian - l'énigmatique jumeau.

Il l'observe souvent. Furtivement. Pourtant, le fils Laval garde ses distances. Son attitude et les rumeurs qui circulent quant à son palmarès de dragueur attisent bien des foudres ; l'un des jeunes du groupe en vient à fomenter un plan pour le déchoir de son piédestal.

Malgré son crush, Xavier n'envisage que ses propres intérêts face à ce défi odieux. Il ne prévoit toutefois pas un détail : être soumis à un jeu qui le dépasse. Mais, tout compte fait... Ce n'est pas pour lui déplaire !

 

 

Crédit illustration : Picrew – modèle DJARN.

• Chapitre 1

Je jette un coup d’œil à mon bracelet connecté.

 

6:13

469 pas

96 BPM

 

Je soupire.

Le jour se lève à peine. Pourtant, je suis déjà dehors à me coltiner ma première tâche de la journée.

L’air frais de la campagne remplit mes poumons de manière agréable, j’avoue. Il est différent de celui de Tours. Sans doute le goût de pollution en moins. Mais je l’adore, ma ville ! Je m’y éclate mieux.

Mes yeux se baladent vers l’horizon pendant que je continue d’avancer sur le béton à l’avant de l’écurie. Les vastes étendues d’herbe qui m’entourent sont entrecoupées de clôtures à certains endroits. Tout au loin, les arbres s’étendent à perte de vue. Le soleil apparaît progressivement derrière et les gazouillis des oiseaux qui sortent de là-bas accompagnent ma marche.

Ici, l’agitation vient soit des animaux de la cambrousse, soit de nous – les ados coincés dans cette version française de la petite maison dans la prairie. Les seuls bâtiments qu’on croise sont bien les différentes structures des Laval et eux, ils nous privent de nos portables la majeure partie de la journée. Autant dire qu’on galère.

Je serre la longe en nylon entre mes doigts pendant que m’étire en baillant à m’en décrocher la mâchoire. Mon attention se tourne ensuite vers ce têtu d’Hadès, qui traînarde derrière moi. Il porte bien son nom, tiens. Un cheval tout noir – enfin, il a une grosse ligne blanche au milieu du front – qui me suit dans la cour des enfers.

Ses sabots frappent tranquillement le sol, il me nargue avec son regard de pur-sang qui se la pète. Pas de doutes là-dessus. Il m’impose son rythme pépère, alors que – sans être pressé – j’ai tout de même autre chose à foutre que me plier aux caprices d’un canasson.

Je finis par râler en tirant un coup sur sa laisse. 

— T’avances, oui ? 

Mais je n’ose pas le brusquer plus que ça. Parce que, mine de rien, elle pèse son poids, la bébête, et elle a son petit caractère.

La preuve, Hadès secoue vivement la tête et la soulève très haut. Je me tourne en totalité vers lui – histoire qu’il ne me casse pas le bras en le tirant vers l'arrière – et je raffermis ma prise, de peur que ce foutu cheval ne m’échappe.

Je pense que ses hennissements mécontents se rapprochent d’un « Va te faire mettre » en bonne et due forme.

— Ouais… J’aimerais bien que ton proprio m’aide avec ça. J’imagine que toi aussi, tu préférerais que ce soit lui qui te bichonne ce matin. Mais dans la vie, on n’a pas toujours ce qu’on veut, poto. Alors autant que t’y mettes du tien et qu’on en finisse au plus vite. Tu crois pas ?

Et voilà que je parle à un canasson, en espérant qu’il me comprenne ! Le pire ? Il me fixe, puis calme sa rébellion. Je vois mon reflet dans sa grosse prunelle brune et me surprends à penser que cette bête est peut-être bien capable de communiquer, à sa manière.

Je secoue vite la tête pour chasser cette idée loufoque. À trop respirer l’air de la cambrousse, je me prends pour l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux.

On arrive enfin au fichu poteau en bois. Après bien dix minutes, alors qu’il est juste à l’angle de l’écurie ! Je soupire encore et m’applique à y attacher la tête de mule. Mais pas trop serré.

Dans le cas où le cheval s’agite, il est préférable qu’il se détache plutôt qu’il se blesse ou qu’il nous blesse avec ses ruades. C’est ce que nous a appris Dorian. 

Ah, Dorian…

Mieux vaut ne pas commencer à penser à lui.

Je souffle une énième fois et ouvre la sacoche posée sur la longue étagère incrustée à la paroi de l’écurie. C’est un des kits de pansage. On nettoie les chevaux dans cette zone, avec pleins d’accessoires différents, avant et après les avoir montés. Je trifouille le sac et sors gauchement le cure pied. Hadès doit se bidonner devant mon amateurisme. Il me fixe toujours et je me demande bien ce qu’il mâchouille, puisque je ne lui ai rien donné à bouffer. M’enfin…

— Allez, c’est parti mon kiki. Donne la patte.

Je tends la main comme un con. Évidemment, il n’obéit pas. Alors je me penche pour le choper. Mais il m’esquive. 

— Hé ! On a un accord, rappelle-toi. Faut que t’y mette du tien. 

Je veux qu’il arrête de reculer, alors j’attrape la sangle de l’espèce de muselière qui passe sur sa joue. Je crois bien que ça l’énerve encore plus. Il recommence à secouer la tête et cogne même des sabots. Ma parole ! On dirait un gros gamin qui chouine. 

— Hadès… Hadès ! Arrête de bouger, merde.

— Doucement, ne tire pas sur son licol.

Je sursaute et me retourne avec un nouveau juron.

Une personne normale se serait excusée de m’avoir foutu les jetons. Pas Dorian.

Je le dévisage, l’air en suspens. Même dans un vieux jean et un t-shirt, il en jette. C’est ouf.

Il se rapproche de nous. Je recule pour lui laisser ma place. Il empoigne à son tour la muselière. 

— Ça va, mon beau. Xav n’est pas méchant, juste inexpérimenté.

Je lui en donnerai bien, de l’expérience !

Sa voix reste posée, comme toujours, mais l’entendre m’appeler par mon surnom m’excite un peu. J’avoue. Je me perds dans la contemplation de son profil pendant qu’il amadoue son démon à pattes. Quelques mèches échappées de sa grosse queue-de-cheval flottent contre sa joue. L’air ultra-concentré, il continue à parler au canasson tout en lui grattant l’encolure. Sa façon de faire nourrit mon impression que la glace dans laquelle est taillé son chef-d’œuvre de visage ne fond qu’au contact de ses animaux, ou de ses sœurs.

Je me mordille la lèvre, en observant les siennes bouger. Elles sont pulpeuses à souhait ! Mon regard dévie ensuite vers son biceps, qui se contracte légèrement quand il déplace sa main libre sur le flanc du cheval. Je suis jaloux que ce soit lui qui reçoive toute son attention. Les gestes de Dorian ont l’air tellement doux. Pas étonnant qu’Hadès calme ses nerfs. Il remue toujours un peu la croupe, mais ça doit être sa danse du plaisir.

Moi aussi, je veux me tortiller de plaisir !

Un faible hoquet m’échappe quand Dorian tourne la tête vers moi, comme s’il m’avait entendu le supplier. L’éclat de ses yeux noisette est vraiment captivant. Ils sont si profonds que j’en perds mes moyens, à chaque fois que je les croise. Alors je prétends reporter mon attention sur le cheval pour détourner le regard. 

— Montre-toi attentionné, ou il continuera à te résister.

Son intonation a changé. Elle m’envoie direct un coup de jus, droit dans le calbute !

Dorian saisit mon poignet. Je tressaute et ouvre grand les yeux de surprise. Il me lance un sourire, qui me cause des palpitations, avant de me tirer pour que je vienne devant lui. Je me retrouve debout entre Hadès et lui, le souffle irrégulier. Puis, il guide ma main sur la fourrure de sa bestiole. 

— Essaie de le caresser.

Bien qu’il soit de quatre ans mon aîné, il mesure quelques centimètres de moins que moi. Son souffle me frappe la nuque à chaque syllabe. Je frissonne d’excitation. Ce n’est pas son cheval, que je veux caresser. Mais je m’exécute.

Il susurre dans mon dos :

— Tout doucement… Voilà, comme ça. Applique-toi.

— Dorian… 

Merde ! Est-ce que je viens de gémir, là ?

— C’est bien le prénom auquel je réponds.

Son petit rire moqueur fait écho dans chacun de mes muscles.

Je me fige et déglutis sec quand il m’accroche la taille.

— Ne t’arrête pas. 

J’obéis et reprends les caresses sur le flanc d’Hadès. 

Ma respiration s’accélère quand Dorian glisse les mains sous mon t-shirt. Il enserre d’abord mes hanches d’une poigne solide, puis une de ses paumes descend sur l’avant de mon pantalon cargo.

— Ça te plairait que je te cajole juste ici ?

Oh, purée ! Je vais manquer d’air !

Je hoche la tête, sans pouvoir sortir aucun son de ma gorge serrée.

Il détache habilement le bouton de mon bas et abaisse la fermeture éclair d’une main experte. Elle glisse ensuite directement dans mon boxer ! Ma voix se débloque quand il commence à malaxer mes boules. Je gémis, mes doigts se crispent sur la fourrure du pauvre Hadès. Il bronche à peine. Ceux de Dorian remontent sur ma queue. Ses lèvres se posent par petites pressions sur la peau exposée de mon cou. Je soupire, le feu au ventre, et donne un coup de bassin vers l’avant. Il comprend le message. Sa poigne se raffermit et il commence à me branler.

Bordel, je bande sévère !

— Debout, Xav.

Il murmure contre mon oreille.

Sa voix mielleuse se transforme soudain en braillements.

— Aller, arrête de rêver d’Yliane ! Elle est à moi !

 

Je me fais secouer comme un prunier dans le lit superposé.

Argh… Lequel de ces deux cons a ouvert les foutus rideaux ?

À peine réveillé, je jette le bras par-dessus mes yeux pour parer la lumière du jour. Leurs ricanements m’agacent direct.

— Non mais, là c’est toi qui rêves. Ça fait trois ans que tu viens te terrer ici chaque été et elle te calcule toujours pas. Je vais te montrer la puissance d’un vrai mec et la serrer en deux temps trois mouvements.

— Ha ! T’as vu ta tronche ? Puis Yli est super intelligente, elle ne voudra jamais fréquenter idiot dans ton genre. Encore moins s’il porte toujours des couches-culottes !

— Vas-y, moque-toi parce que t’es grand et costaud. Mais ça veut rien dire. Je vais la travailler au corps pendant les heures qui viennent. Tu verras.

— Vous allez ramasser du crottin dans les box ! À t’entendre, on dirait que t’as décroché un rencard.

— Avec moi, ça revient au même, mon pote, se marre Iason. Bon, allez… Grouille-toi, mec. T’es le dernier à te lever.

Ah, ça y est ? Ils ont fini de se vanner ?

Iason me bouscule encore et Quentin en profite pour ajouter son grain de sel. 

— File à la douche fissa si tu ne veux pas te faire sermonner par les matons.

Sentir la dureté de ma pine augmente ma frustration. Je la presse machinalement, un grognement m’échappe.

— Foutez-moi la paix…

Je me retourne sur le flanc, histoire d’offr

ir mon dos aux bolosses.

Ce que j’aurais voulu, c’est finir mon putain de rêve !

• Chapitre 2, partie 1

Dès que les deux zigotos déguerpissent vers d’autres pâturages, un silence tranquille retombe dans la grande chambre qu’on partage. Ma gaule, par contre, me tient toujours compagnie.

Un nouveau soupir m’échappe.

Je pourrais me branler ici, mais ce serait prendre le risque que quelqu’un m’entende – la honte ! Alors je me décide à ôter progressivement mon bras de mon visage. Je bats un peu des paupières pour m’habituer à la clarté de la pièce et fixe pensivement les poutres apparentes du plafond, avant de tâtonner le matelas pour retrouver mon téléphone. La luminosité de l’écran m’agresse un peu, je plisse les yeux. Et, ça va…

Les gars exagèrent, il n’est que sept heures et des brouettes. En sachant que je ne me pomponne pas autant que les autres, j’ai largement le temps de me préparer et de descendre petit-déjeuner pour huit heures – horaire où tout le monde doit être non seulement sorti du lit, mais aussi prêt à attaquer la journée.

Je me redresse mollement et m’assois sur le bord du lit, les pieds calés dans les escaliers en bois. Les yeux toujours rivés sur mon écran, je fais défiler mes notifications.

Coucou mon chéri, j’espère que tu t’acclimates sans causer de problèmes à Jacqueline et Dominique. Passe une bonne journée, prends des photos et n’oublie pas de nous appeler ce soir. Bisou.

Ton père t’embrasse aussi.

Il ne se foule pas, hein. Il passe par maman pour me parler depuis que je suis ici parce que, soi-disant, il n’aime pas rester pendu au téléphone. Sauf que, dire bonjour, ça se fait en deux minutes ! Je l’aurais sans doute mal pris si je ne savais pas que le daron loge tout le monde au même niveau quand il s'agit de coups de fils. Je lève quand même les yeux au ciel avant de répondre au message de maman, puis à celui d’un de mes potes qui a eu la chance de rester à Fontaine cet été.

Je finis par sauter du lit – il n’est pas bien haut et j’ai de grandes jambes. J’atterris sans problème sur le parquet et me dirige vers une des deux commodes pour sortir mes affaires.

La chambre a des allures de chalet, je trouve ça assez cool. Elle est aménagée sobrement et assez spacieuse pour accueillir trois mâles pleins de testostérone ! L’armoire et les autres rangements fournissent assez de place pour qu’on range toutes nos affaires. On a même un petit espace de vie au milieu, avec des poufs sur un large tapis tressé ovale. On s’est juste un peu chicanés à notre arrivée, pour savoir qui occuperai royalement le lit une place et qui aurait la guigne complète de dormir en bas dans le lit superposé. Le grand gagnant a été Iason. Je crois que ça lui est monté à la tête, puisqu’en plus d’être fier comme un coq, il a l’air de se prendre pour notre chef de bande…

En sortant de la chambre, j’arrive à la salle de bains en quelques pas – c’est la porte d’en face. Malgré le fait que mon t-shirt retombe assez bas sur mon jogging, je tiens mes vêtements de rechange et ma trousse de toilette devant moi pour camoufler Paulo, au cas où je croise quelqu’un. Personne dans le couloir ; je crois plutôt entendre du monde à la cuisine. Tant mieux. Je pousse la porte entrouverte et referme à clé derrière moi. L’avantage d’être le dernier à aller me doucher, c’est que personne ne viendra me stresser. Parfois, c’est vraiment insupportable. Et encore ! Les jumeaux se lèvent très tôt, mais ils utilisent la salle de bains de leurs parents pendant les vacances – celle du bas. Vanille aussi, puisqu’elle partage la chambre de la petite dernière des Laval, au rez-de-chaussée. Mais on reste quand même cinq ados impatients à squatter celle du premier. Les filles n’hésitent pas à crier comme des Banshees pour nous dégager de là – un vrai cauchemar – et comme les parents Laval sont souvent déjà à l’extérieur, ils n’interviennent pas.

Le veinard que je suis balance trousse, serviette et vêtements propres sur la surface en bois massif dans laquelle est incrusté le lavabo. Les habits que je porte sont prestement éparpillés au sol, puis je saute sous la douche.

— Enfin !

Je règle à peine l’eau et grogne en glissant ma paume sur mon chibre. Je bande encore comme un âne – les joies d’être un mec qui entre en plein dans la fleur de l’âge. Je me rappelle parfaitement de mon rêve et à quel moment j’y ai été arraché. Mais mon subconscient s’est montré sage, c’était trop gentillet. Je ferme les yeux et commence à me caresser tout en me concentrant. L’eau tiède, que je sens ruisseler sur chaque parcelle de ma peau nue, aide aussi pas mal à me stimuler. D’un coup, je suis de nouveau à l’angle de l’écurie. Je tiens mon fantasme à mes pieds, d’une poigne solide dans ses cheveux, et lui baise sa bouche si sexy. 

Ses yeux magnifiques restent accrochés à moi, humides à cause de mes coups de reins. Il avale pourtant de la longueur sans rechigner. Juste comme j’aime.

— Mmm, ouais... 

C’est sûr, ça va être rapide. Je me pince les lèvres pour éviter de gémir alors que je me touche le torse et titille mon téton de ma main libre. J’imagine ses doigts plus rugueux ; ils manient sans cesse toutes sortes d’outils pour aider à l’entretien du domaine.

Je me sens proche, je laisse ma main chuter vers mes bourses et les presse. Le rythme de ma branlette augmente. Les étincelles de plus en plus puissantes dans mon bas-ventre annoncent le feu d’artifice. Mes muscles inférieurs se contractant, mes cuisses se bandent, mes fesses deviennent dures comme du béton. Je donne d’ultimes coups de bassin dans mon poing crispé et me mords la lèvre en giclant une bonne dose sur le carrelage mural.

Essoufflé, l’esprit en vrac et les jambes faiblardes, je m’appuie contre la paroi moite pour me rincer la main. Après m’être repris, je me douche rapidement, me brosse les dents et tout le tintouin avant de retourner poser mes affaires dans la chambre.

7:45

Je suis dans les temps. Je descends les escaliers, les yeux à nouveau rivés sur mon portable que je vais bientôt devoir abandonner. J’ai reçu quelques messages sur Grindr, des anciens qui voudraient remettre le couvert. Apparemment, un renoi soin d’un mètre quatre-vingt-trois, qui expose son buste et ses abdos finement dessinés – au lieu de compter sur son visage amical et ses yeux rieurs –, c’est un profil qui fait un malheur sur cette appli de rencontres. Je le vis comme une revanche !

Sans être un pur canon, je plais – à certains plus qu'à autres. Même pas besoin de draguer. Un match, un petit sourire, une photo de Paulo et hop ! C’est dans la poche. J’en profite à pine joie derrière les portes closes. Mais, dans la vie de tous les jours, il arrive encore qu’on se moque de moi. Des gros cons – meufs, mecs, blancs, beurres et même des Afro-Descendants comme moi – me trouvent trop noir. Avant, j’étais aussi « trop grand » et « trop maigre ».

Malgré le soutien de mes parents quand mes réactions imprévisibles à ces remarques créaient des problèmes à l’école, j’ai longtemps mal vécu les moqueries et le racisme en lui-même. Ça ne s’est pas arrangé en grandissant. Contrôles au faciès, regards dégoûtés sans raison apparente, insultes gratuites lors de différents avec des inconnus ou cris de singe durant certains de mes matchs de foot amateur... Je porte autant la France que ma diversité culturelle dans mon cœur, mais à cause d’une minorité de décérébrés, je me suis souvent senti étranger dans mon propre pays. J’ai dû apprendre à vivre avec cette face cachée du « liberté, égalité, fraternité », qu’on prône fièrement chaque 14 juillet, et assumer ma peau foncée. Ce n’est pas comme si je pouvais la cacher comme je cache le reste. Aujourd’hui, j’en suis même fier et tous ceux qu’elle dérange peuvent aller se faire mettre un coup. 

Et en parlant de coups... Quelle frustration !

Je n’aurais pas eu à m’astiquer le manche tout seul si j’étais resté au quartier pendant les vacances. Les villes autour sont faciles d’accès et plutôt bien loties, côté plan Grindr. Là, c’est le désert et il n’y a même pas moyen de quitter le domaine pour aller se balader en ville. J’ai déjà l’impression d’être à l’agonie après quelques semaines sans niquer. Encore un mois entier à tenir ! Je vais mourir, tout ratatiné comme un raisin sec. C’est sûr ! 

Quand j’arrive mollement au rez-de-chaussée, je m’arrête face à la commode où on est priés de ranger nos téléphones pour « profiter de la journée de manière conviviale, sans avoir le cerveau rongé par les réseaux sociaux ». Une de nos nombreuses règles archaïques. Je marmonne mon agacement.

En croisant mon reflet de beau gosse – dans le miroir au cadre en chêne du salon, fixé juste au-dessus du meuble –, je me demande encore si les Laval sont des Antillais écolos. Non, parce que, en plus des panneaux et du chauffe-eau solaire, ou de leur mode de vie campagnard à fond, la majorité de leurs meubles sont en bois. Par contre, pas besoin de repenser mille fois leurs origines antillaises. Les bibelots en forme de carte de la Guadeloupe, de tambours, ou autres symboles emblématiques, ornent l’endroit, en passant de la nappe madras de la cuisine aux écriteaux – en bois – indiquant le nom de chaque pièce sur sa porte.

Quand je tire le tiroir pour poser mon téléphone, mon attention se centre sur celui dont l’écran s’allume au milieu des huit autres. Une notification d’e-mail reçu se placarde sur l’image de fond. J’ai le loisir d’admirer les jumeaux Laval côte-à-côte sur le dos de leurs chevaux respectifs, tous souriants. Je crois qu’il s’agit du portable de Dorian. Yliane a une photo d’eux allongés dans l’herbe à faire la grimace. Elle et la petite Oriane sont bien les seules avec qui le frangin paraît se montrer sous son vrai jour. Il fait des efforts avec Nahla et Capucine, à qui il concède des demi-sourires. Mais nous, c’est à peine s’il nous calcule pour autre chose que les corvées ou les moments qu’on est obligés de passer tous ensemble.

J’ai soudain très envie de plonger dans son intimité pour me venger du fait qu’il nous ignore. Je lâche mon téléphone et effleure le sien. L’écran s’allume à nouveau. Je me fous de ses textos et de ses notifications. Je voudrais fouiner directement dans sa galerie. Peut-être que je tomberais sur d’autres photos de son sourire, de lui torse nu ou même sur une dick pic, avec un peu de chance.

— Xavier !

Merde !

• Chapitre 2, partie 2

— Xavier !

Merde ! Pris la main dans le sac, je sursaute comme un voleur. Mon cœur fait un bond avant de revenir dans ma poitrine.

— Ben alors, on a cru que tu descendrais pas ! poursuit Nahla depuis son siège, dans la cuisine ouverte sur le salon. Tu viens manger, ou quoi ?

— On t’a gardé des crêpes, renchérit Capucine, assise à ses côtés. Mon frère et Iason comptaient bien toutes les avaler, alors tu nous dois une fière chandelle.

Je referme le tiroir sur mes espoirs de stalker. De toute façon, il doit avoir un code pour déverrouiller son précieux téléphone.

— Merci les filles.

Je colle un bisou sur la joue de chacune avant de tirer une chaise pour m’asseoir.

— Ben dis donc, qu’est-ce qui t’es arrivé à la lèvre ? 

Nahla fronce ses épais sourcils. Elle dégage une des mèches noires qui ondulent hors de ses couettes, juste devant ses yeux bruns. Son style gothique s’allie à un maquillage noir qui fait ressortir ses prunelles marron vert. Elles ont presque la même couleur que celles de Dorian mais sont plus claires, et tirent beaucoup plus vers le vert. Elle a aussi le teint un peu bronzé, mais pas autant que lui.

Je me touche machinalement la lèvre inférieure, alors que je sais déjà qu’elle est fendue d’une entaille toute fraîche.

— Je me suis mordu.

— Oh ! Comment as-tu fait ton coup ? s’exclame Capucine.

Les billes limpides lui servant d’iris paraissent renfermer des morceaux de ciel. Je déteste quand elle me fixe comme ça.

— Je me suis mordu, c’est tout. Sûrement dans la nuit, je sais pas... Elles sont encore chaudes, les crêpes ?

Nahla me tient d’un regard toujours aussi sceptique. Mais par chance, Capu a parfois encore cette innocence enfantine. On arrive assez facilement à la faire passer d’un sujet à un autre. Elle opine en remontant ses lunettes rondes sur son nez tacheté et me tend l’assiette.

— Oui, sers-toi. Hier, les petites ont fait de la confiture de mangues. Il en reste encore à la framboise et il y a aussi du Nutella.

— Cool ! Merci.

Je récupère les crêpes et en tartine une de chaque goût avant de me servir un verre de jus de fruit. Les filles reprennent leurs conversations diffuses, mon regard glisse naturellement vers la fenêtre sur ma gauche pendant que je mange en chantonnant un rap français.

Il y a tellement de vitres dans cette baraque qu’on dirait une loge d’observation vers tous les autres bâtiments. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça rend au moins l’intérieur très lumineux. De notre chambre, située au-dessus du salon, on voit les écuries au loin, face à la maison. Depuis la cuisine, j’ai plutôt vue sur la zone de pansage. Dorian y est, en ce moment même, debout au milieu d’une dizaine de chevaux – dont un poney – qui font leur petite vie tranquille autour de lui. Il les prépare sûrement l’un après l’autre pour la balade de 10 heures. La fois précédente, Yliane m’a proposé de l’aider. Peut-être pour briser la glace, comme on venait d’arriver. Elle paraissait tellement enthousiaste de m’enseigner comment faire que je n’ai pas osé refuser. Finalement, j’ai plus été un boulet qu’autre chose. Alors je comprends pourquoi Dorian préfère s’en charger seul. Il avance certainement plus vite et, surtout, il ne nous a pas dans les pattes !

Je me rappelle très bien la première fois que je l’ai vu, il y a deux semaines. Le 10 juillet, plus exactement. Quand on est descendu du van Peugeot de Jacqueline, Capucine et Quentin s’alignaient déjà devant le perron atrocement rustique auprès des autres membres de la famille Laval. Leurs parents les avaient déposés. Les mains dans les poches de son jogging en coton, Dorian jouait avec un gros caillou sous ses Vans. La passion avec laquelle il fixait le sol criait combien il se faisait chier par anticipation.  Moi, c’est sur lui que je me concentrais durant le discours d’accueil de son père. Je ne pouvais pas trop détailler les traits de son visage – il était baissé, ses cheveux tombaient devant. Mais son corps, alors ! J’ai dû me flageller pour prétendre ne pas lorgner ses bras puissants, exposés par son débardeur, ou même sur la petite montagne que je distinguais trop bien sous son survêt...

J’avoue, je suis un vrai dalleux. Quand je ne pense pas bouffe, je pense cul et bite. Mon imagination est facilement stimulée, ce qui ne pardonne pas. Alors je me suis efforcé de regarder partout ailleurs que dans sa direction. Ç’a été assez périlleux d’éviter de reluquer son boule de sportif quand il nous a conduits jusqu’à notre chambre pour nous installer. Dès ce jour-là, j’ai su que mon séjour au domaine allait être chaud. Je dois contrôler mes pulsions et mes yeux baladeurs tous les jours, parce que je ne veux évidemment pas me faire griller.

— Xavier, qu’en penses-tu ?

Je tourne un regard égaré vers Capucine.

— De quoi ?

— Des rumeurs à propos de Dorian ! C’est de ça que nous parlons. Tu n’écoutes pas ?

— Franchement, non.

— Je disais qu’Yli a plus de followers que lui sur les réseaux, reprend Nahla. Normal, elle est super douée pour réaliser des gâteaux illusion en plus d’être magnifique. Je pourrais regarder inlassablement ses longs doigts potelés modeler des formes ou couvrir n’importe quoi de ganache. Et puis, elle a cette façon adorable de rire sans se soucier d’être discrète quand elle fait une bourde...

— Tu t’égares, lui fait remarquer Capucine avec un léger rire.

— Oui, pardon ! Mais c’est que je suis sous le charme.

— Ouais, t’as des étoiles dans les yeux dès que tu parles d’elle. Je crois qu’on a bien compris combien tu la kiffes.

— Parce que toi non ?

Nahla me toise. Capucine embraye :

— Depuis trois ans que nous venons, mon frère et moi, presque tous les garçons qui passent au domaine tombent fous amoureux d’elle. Quentin le premier.

Je suis 100% sûr qu’ils ressentent quelque chose de plus pressant que l’amour pour la belle étudiante.

— OK, Yli est mignonne. Mais je ne me vois pas lui baver devant comme vous le faites. C’est limite gênant.

— Yliane est plus que mignonne ! s’indigne Nahla. C’est l’incarnation même de la beauté noire.

Mh... Un peu exagéré – la marque de fabrique de notre chère Nahla. Mais c’est vrai qu’en ce qui me concerne, je vois un peu Dorian comme un Apollon noir.

— Donc, je disais qu’elle a plus d’abonnés et que tout le monde a l’air de l’adorer, mais alors Dorian... C’est un délire comme il se fait tailler. J’ai trouvé des commentaires un peu bizarres sous les posts de sa sœur, alors j’ai creusé.

— Normal !

Capucine et son entrain légendaire. Elle ferait presque de l’ombre à Yliane.

— J’ai été sur sa page Instagram à lui. Y’a beaucoup de gens qui l’apprécient aussi et suivent son parcours, que ce soit ses posts sur ses virées à cheval, ses sorties avec sa sœur ou ses compétitions. Mais je pense qu’il doit effacer les commentaires négatifs au fur et à mesure ; certaines conversations ont l’air incomplètes. Sauf qu’il doit en louper, parce qu’il en reste ! Y’en a où il se fait insulter. J’ai même trouvé des vidéos où des rageux déballent tout sur lui. Apparemment, Monsieur est plutôt du genre à baiser et à jeter ensuite. Sans état d’âme !

Mon cœur se met à pulser plus fort. La manière dont elle écrase le bout de son index sur la table pour ponctuer chaque phrase montre combien elle est remontée. Mais son discours m'évoque un tout autre sentiment. Je suis grave partant pour une baise kleenex avec un avion de chasse comme celui-ci.

Contrairement à moi, qui fais mine de rien, Capu prend pourtant un air choqué avant d’ajouter :

— Ça ne m’étonne même pas ! Les types canons se croient souvent tout permis.

— Et attendez, c’est pas tout. Quelqu’un a assuré que son principal adversaire lors des compétitions FFE, un certain Jude Martin, n’a plus gagné aucune épreuve depuis qu’il s’est fait larguer au mois de mai. Il paraît même que l’an dernier, une autre pointure des concours d’élite a quitté la région à cause d’un chagrin d’amour... Causé par nul autre que Dorian Laval ! Alors, tu trouves pas ça dégueulasse, Xav ?

— J’en sais rien, je marmonne, la bouche pleine. Il fait ce qu’il veut, tant que ses mecs sont consentants.

— Mais tu ne peux pas être sérieux ! riposte Capucine – son poing fragile s’abat sur la table chargée. Ils donnent leur consentement pour faire l’amour, pas pour se faire piétiner le cœur.

— Hétéros ou homos, c’est vraiment typique des porteurs de pénis de croire que se comporter comme un connard est normal.

— J’ai pas dit ça. C’est juste que j’ai pas franchement envie d’entendre ces histoires.

Je me renfrogne peut-être un peu, sur le coup.

On sait déjà qu’il est gay depuis une bonne semaine, ce n’est pas une surprise, mais ces ragots me font chier. Même si je ne suis pas vilain à regarder, Dorian pêche clairement dans une autre catégorie sociale. Ce qui me frustre davantage. De deux, je ne veux pas non plus que les filles crament que moi je suis gay et encore moins que je me pâme sur lui.

Cette Nahla est vraisemblablement une fouineuse très perspicace. Quant à la Capu, du haut de ses 16 ans, on dirait une de ces satanées voyantes qui t’accostent au centre commercial. Elle t’envoûte avec ses yeux bleus, tu commences à lui confier deux mots sur ta vie et hop ! Elle cherche à débusquer tous tes maux.

Non merci !

— On est de retour !

— Mais pas pour jouer un mauvais tour. 

Les rires cristallins de Vanille et Oriane sont couverts par ceux d’un homme. Je me retourne vers l’entrée du salon. Quentin les talonne. Ils viennent nous rejoindre à la cuisine, les bras chargés des récoltes du jardin cultivé derrière la maison.

Les petites lancent en chœur :

— Coucou Xavier !

— Salut les fermières. Un peu d’aide ?

Je me prépare à me lever pour échapper aux deux macrelles.

— Finis de manger, mec, intervient Quentin. Je suis sur le coup, t’inquiète. Essaie juste de ne pas t’étouffer devant tant de mocheté.

Je ricane et reste assis, puisque je sens que ces deux-là vont repartir dans une bagarre.

Le rouquin bouscule la chaise de sa cadette d’un bon coup de hanche. Capucine lui flanque un tacle au tibia en retour. Il grogne et la frappe derrière la tête.

Qu’est-ce que je disais ? 

— Aïe ! Tu n’es vraiment qu’un gros crétin !

— Penses-y la prochaine fois que tu me cognes, Kim Possible.

— Ou pas !

Maligne, elle lui assène un nouveau coup à la jambe. Bien qu’assez balèze, Quentin flanche et manque de lâcher son panier de légumes – d’où son besoin de répliquer. 

— Hé, arrêtez ! les somme Oriane. Vous allez finir par vous casser quelque chose. 

Comme les autres, je pouffe de rire. 10 ans, et on lui obéit déjà au doigt et à l’œil à cette mini-cheftaine. C’est bien pour ça que sa mère lui confie la clé du tiroir à portables. Elle a de qui tenir.

Pendant que les autres continuent d’animer la cuisine, mon regard se porte encore au travers de la fenêtre.

À présent, Dorian dorlote le fougueux Hadès. Si ce n’est son père, durant les périodes où il est à l’université, et peut-être aussi Yliane – avec qui il partage une connexion spéciale –, j’ai cru comprendre qu’il ne laisse personne s’occuper de ce canasson. C’est son champion. Et j’ai imaginé l’approcher ?

C’est dire à quel point je rêve de choses qui ne risquent pas d’arriver.

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